
Serge Latouche, professeur d'économie à l'université d'Orsay, analyse sans relâche depuis plusieurs décennies la question du prétendu "développement" qu'offre la "croissance économique", véritable Dieu de l'époque moderne.
Il
a dans ses divers travaux démontré le caractère largement néfaste et
non soutenable du développement conçu comme une croissance indéfinie des
productions matérielles. Non seulement les ressources naturelles sont pillées, les écosystèmes
ravagés, les paysages enlaidis, de sorte que ce système court à sa
propre perte, mais aussi et peut-être surtout, loin d'apporter l'aisance
ni le "bonheur", il appauvrit les peuples, entièrement livrés à la
tyrannie du Marché et de l'économie, conçue
comme une sphère autonome et pouvant seule subvenir à tous les besoins
humains, en lieu et place des traditionnelles relations communautaires
et des multiples activités locales exercées de manière autonome
(artisanat, commerce, agriculture, etc.).
Comment sortir de ce piège mortel et éviter la catastrophe ? Serge Latouche suggère quelques pistes dans son dernier ouvrage, Sortir de la société de consommation. Parmi
les nombreuses remarques importantes faites par l'auteur dans cette
série d'articles, nous retenons en particulier la suivante, qui a le
mérite de replacer le problème dans la longue durée de la civilisation européenne :
"Le
mythe d'une voie méditerranéenne témoigne de l'existence de racines
préindustrielles, précapitalistes, prémodernes, voire préchrétiennes, au
coeur même de l'Occident, et il est intéressant à ce titre de voir
qu'on l'évoque sur le mode de la nostalgie. On pourrait sans doute, de la même façon, inventer une voie celte, germanique, slave, que sais-je encore, qui indiquerait que l'Indien
en nous n'est pas tout à fait mort. Le réveil des Amérindiens
interpelle donc aussi cet Indien-là. Cette présence résiduelle ou
refoulée pourrait, dans certaines conditions, favoriser la transition
vers l'utopie concrète de la société d'opulence frugale de la
décroissance et donner plus de consistance à un projet spécifiquement
européen d'une telle société".
S. Latouche, Sortir de la société de consommation, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2010, p. 164.

"L'Indien
en nous". De quoi s'agit-il ? Il s'agit de la reconquête d'une
sociabilité, d'une esthétique, d'un savoir-vivre et de savoir-faire
celtiques, profondément enracinés dans chacun d'entre nous, dans ce qui
nous a été légué par la longue chaîne de nos ancêtres et qui nous hurle,
chaque jour, de balayer la chape de béton, de bitume et d'acier qui a recouvert nos vies, notre pays et enfermé chacun d'entre nous
dans une cage. Il s'agit de redécouvrir la joie de voir en notre voisin
notre semblable en qui nous avons confiance et qui a sans nul doute
beaucoup à nous apporter, plutôt qu'en chaque individu un concurrent à
écarter.
Les bocages multi-séculaires, les forêts foisonnantes de gibiers, les montagnes aussi belles que dangereuses, les vieilles maisons paysannes bâties des mêmes pierres que les forteresses dominatrices,
les charpentes de chêne toujours debout, les cèpes qui après chaque
pluie repoussent et se livrent au promeneur attentif, ces vieux motifs
d'entrelacs qui aux portes des églises font échos aux décors presque
effacés qui ornent les épées de fer de nos musées, ces visages aux yeux
bleus marqués par des millénaires passés dans les hivers obscurs, la joie d'avancer avec les autres, la satisfaction de r
éaliser
un bel objet ou une recette de cuisine soi-même, tout cela nous
rappelle, quand nous voulons bien le voir, à quel point nous avons fait
fausse route, à quel point il est urgent de nous retrouver.
Non, en effet, le Celte en nous n'est pas tout à fait mort.
Amaury Piedfer.source

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