Soit que les Romains imaginassent quelque chose
de divin dans la verbène, soit qu’ils faisaient allusion au nom de cette
déesse Strénia, dans le bois de laquelle ils prenaient la verbène, avec
le mot de
strenuus, qui signifie
vaillant et
généreux : aussi le mot
strena, qui signifie
étrenne, se trouve quelquefois écrit
strenua
chez les Anciens, pour témoigner que c’était proprement aux personnes
de valeur et de mérite qu’était destiné ce présent, et à ceux dont
l’esprit tout divin promettait plus par la vigilance que par l’instinct
d’un heureux augure.

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Après
ce temps-là, l’on vint à faire des présents de figues, de dattes et de
miel, comme pour souhaiter aux amis qu’il n’arrivât rien que d’agréable
et de doux pendant le reste de l’année. Ensuite les Romains, quittant
leur première simplicité, et changeant leurs dieux de bois en des dieux
d’or et d’argent, commencèrent à être aussi plus magnifiques en leurs
présents, et à s’en envoyer ce jour-là de différentes sortes, et plus
considérables ; mais ils s’envoyaient particulièrement des monnaies et
médailles d’argent, trouvant qu’ils avaient été bien simples, dans les
siècles précédents, de croire que le miel fût plus doux que l’argent,
comme Ovide le fait agréablement dire à Janus.
Avec les présents, ils se souhaitaient mutuellement toute sorte de
bonheur et de prospérité pour le reste de l’année, et se donnaient des
témoignages réciproques d’amitié : et comme ils prenaient autant
d’empire dans la religion que dans l’Etat, ils ne manquèrent pas
d’établir des lois qui la concernaient, et firent de ce jour-là un jour
de fête, qu’ils dédièrent et consacrèrent particulièrement au dieu
Janus, qu’on représentait à deux visages, l’un devant et l’autre
derrière, comme regardant l’année passée et la prochaine. On lui faisait
ce jour des sacrifices, et le peuple allait en foule au mont Tarpée, où
Janus avait quelqu’autel, tous habillés de robes neuves.
Néanmoins, quoique ce fût une fête, et même une fête solennelle,
puisqu’elle était encore dédiée à Junon, qui avait tous les premiers
jours de mois sous sa protection, le peuple ne demeurait pas sans rien
faire ; chacun commençait à travailler à quelque chose de sa profession,
afin de n’être pas paresseux le reste de l’année.
Enfin, l’usage des étrennes devint peu à peu si fréquent sous les
empereurs, que tout le peuple allait souhaiter la bonne année à
l’empereur, et chacun lui portait son présent d’argent, selon son
pouvoir. Auguste en recevait en si grande quantité, qu’il avait
accoutumé d’en acheter et dédier des idoles d’or et d’argent, comme
étant généreux, et ne veillant pas appliquer à son profit particulier
les libéralités de ses sujets.

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Tibère,
son successeur, qui était d’une humeur plus sombre et n’aimait pas les
grandes compagnies, s’absentait exprès les premiers jours de l’année,
pour éviter l’incommodité des visites du peuple, qui serait accouru en
foule pour lui souhaiter la bonne année. Ces cérémonies occupaient même
si fort le peuple, les six ou sept premiers jours de l’année, qu’il fut
obligé de faire un édit par lequel il défendait les étrennes, passé le
premier jour. Caligula, qui posséda l’empire immédiatement après Tibère,
fit savoir au peuple, par un édit, qu’il recevrait les étrennes le jour
des calendes de janvier, qui avaient été refusées par son
prédécesseur ; et pour cet effet il se tint tout le jour dans le
vestibule de son palais, où il recevait à pleines mains tout l’argent et
les présents qui lui étaient offerts par le peuple.
Claude, qui lui succéda, abolit ce que son prédécesseur avait voulu
rétablir, et défendit, par arrêt, qu’on n’eût point à lui venir
présenter des étrennes, comme on avait fait sous Auguste et Caligula.
Depuis ce temps, cette coutume demeura encore parmi le peuple. Les
Romains pensaient qu’il y avait quelque chose de divin dans les
commencements.
Plus tard, le concile d’Auxerre, tenu en 587, défendit de faire, le
premier jour de l’an, des sacrifices de génisses ou de biches et d’aller
faire des vœux devant les arbres consacrés aux faux dieux. Les
étrennes, jointes à des sacrifices, étaient véritablement
diaboliques.
Lorsqu’en France l’année débutait encore à Pâques, continuait-on de
donner des étrennes le premier jour de janvier ? Il semble que oui. Dans
les lettres du roi Jean, en date de juillet 1362 et contenant des
statuts pour la confrérie des drapiers, il est dit « que ladite
confrérie doit seoir le premier dimanche après les estraines, si celle
de Notre-Dame n’y eschoit. » Le dimanche dont il est question ici est le
premier dimanche de janvier, si l’on s’appuie sur le témoignage de Du
Cange qui, dans son Glossaire, prouve, par différents passages, que
lorsque l’année ne commençait qu’à Pâques, on ne laissait pas de
regarder le premier jour de janvier comme le premier jour de l’année.

| Jour des étrennes. 1er janvier 1564 |
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L’ancienne
chronique de Louis, duc de Bourbon, comte de Clermont, grand-chambrier
de France conforte ce témoignage. On y lit au chapitre second : « De
Clermont partit ledit duc Loys, s’en vint à son duché de Bourbonnois à
Souvigny, où il arriva deux jours avant Noël, l’an de grâce 1363 ; et là
vindrent par devers luis ses chevaliers et écuyers, et le quart jour
des fêtes, dit aux chevaliers, le duc en riant : Je ne vous veux point
mercier des biens que vous m’avez faicts, car si maintenant je vous en
merciois, vous vous en voudriez aller, et ce me seroit une des grandes
déplaisances que je pusse avoir... ; et je vous prie à tous que vous
veuillez estre en compagnie le jour de l’an en ma ville de Molins, et là
je vous veux étrenner de mon cœur et de ma bonne volonté que je veux
avoir avec vous. »
Et au troisième chapitre : « L’an qui courait 1363, comme dit est,
advint que la veille du jour de l’an fut le duc Loys en sa ville de
Molins, et sa chevalerie après lui... ; et le jour de l’an, bien matin,
se leva le gentil duc pour recueillir ses chevaliers et nobles hommes
pour aller à l’église de Notre-Dame de Molins ; et avant que le duc
partist de sa chambre, les vint étrenner d’une belle ordre qu’il avait
faicte, qui s’appeloit l’écu d’or. » Au chapitre cinq on lit enfin :
« Si les commanda le duc à Dieu, et eux pris congé de lui se
partirent... Les gens partis de cour, vint le jour des Rois, où le duc
de Bourbon fit grande feste et lye-chère. »
Rappelons que si sous les Mérovingiens, l’année commençait le 1er
mars dans plusieurs de nos provinces, elle débuta à Noël sous
Charlemagne, dans tous les territoires soumis à sa juridiction. Sous les
Capétiens, le jour de l’an coïncidait avec la fête de Pâques, usage
presque général au Moyen Age. En certains lieux, l’année changeait le 25
mars, fête de l’Annonciation. Le concile de Reims, tenu en 1235,
mentionne cette date comme « l’usage de France ». C’est le roi
Charles IX qui rendit obligatoire, en 1564, la date du 1
er janvier comme origine de l’année.
A la fin du XIXe siècle, avec l’apparition du Père Noël dans la
publicité des grands magasins, la coutume d’offrir des cadeaux le 1er
janvier disparut, le jour des étrennes se confondant dès lors avec celui
de Noël : on offrit les cadeaux le 25 décembre.
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