À
la lecture des débats passionnés et passionnants qui ont alimenté les
blogues et fils des réseaux sociaux de la mouvance ces dernières
semaines au sujet de la crise ukrainienne il nous a semblé pertinent de
porter à la réflexion des lecteurs du C.N.C. (Cercle non conforme)
certains éléments de l’analyse nationale-révolutionnaire.
En
effet, on a vu et lu s’affronter avec fougue les tenants d’un voie
pro-russe dite « continentale » prenant appui sur une nécessité
géopolitique dépassant les visées nationales et les tenants d’une ligne
« nationaliste », défendant en premier lieu la volonté des ukrainiens de
fonder un État souverain.
Ces
deux positions résultent de deux démarches fondées sur un même
principe : celui de l’efficacité. Les uns pensent que le renouveau
passera par un « grand frère », élément moteur d’une contestation de
l’ordre établi – entendez l’ordre américain – aujourd’hui incarné selon
eux par la Russie de Poutine. Les autres au contraire, trouvent
l’élément d’efficacité dans la vivacité de certains peuples qui refusent
l’enfermement impérialiste, les mafias oligarchiques et l’autoritarisme
népotique, vivacité aujourd’hui représentée par les nationalistes
ukrainiens.
Notons
au passage que les deux groupes trouvent leur inspiration à l’Est,
c’est-à-dire loin et en dehors du territoire national qui semble-t-il ne
remplit plus les conditions minimales, les germes de révolte suffisants
à enflammer les consciences. Curieux tout de même à l’examen d’une
actualité hexagonale chaque jour plus chargée de contestation et de
conflits (certes avec des accents moins jusqu’au-boutistes).
Nous
avons donc en somme une position « géopolitico-continentale »
sensiblement pro-russe et négatrice des identités dites « mineures » et
une position « identitariste » fondant sa fraternité de combat sur les
luttes de libération nationale.
Ces
deux visions, malgré leurs prétention à l’objectivité et à la
scientificité analytique, sont toutes deux partantes d’un certain
romantisme impatient qui cherche désespérément une étincelle pouvant
allumer rapidement l’incendie libérateur. Pour les uns c’est Poutine,
mâle russe aux muscles saillants et au verbe incisif qui incarne
l’avant-garde du front du refus à l’impérialisme. Pour les autres, ce
sont les peuples non encore trop pollués - Hongrois, Serbes, Ukrainiens
et même Russes (nous pourrions ici en citer bien d’autres) – qui
personnifient la résistance anti-mondialiste et alter-nationaliste.
Or
les partis pris exprimés dans ces deux positions sont fondés sur les
opinions, les avis plus ou moins éclairés que se font les uns et les
autres des peuples ou leaders dont ils font leur champions.
À
ce stade, il est important de rappeler que l’on peut difficilement
fonder une politique de long terme sur des opinions et des impressions.
Il est donc fondamental de rebâtir un raisonnement reposant sur des
principes intangibles, invariants et donc pérennes. Pourquoi ?
Simplement pour ne pas oublier qui nous sommes, ce que nous défendons.
Pour savoir toujours marquer la limite, pour ne pas devenir ceux que
nous supportons, entrer dans la confusion de la puissance, voire devenir
les zélés serviteurs aussi dévoués qu’aveuglés.
Pour
cela, il est utile de faire ré-émerger la grille d’analyse partagée par
la mouvance nationale-révolutionnaire. Fondée sur quelques grands
principes, celle-ci présente le double avantage apparemment paradoxal
d’une mise à distance des faits et d’un engagement profond pour les
causes.
Tout
d’abord, redisons-le, les nationaux-révolutionnaires évitent comme la
peste le romantisme, fils des Lumières et porteur d’une musique
enivrante mais trompeuse. La vie n’est pas un roman, la vie est un
combat acharné, une lutte brutale qui demande la mobilisation totale du
corps et de l’esprit. L’engagement doit résulter d’un processus
décisionnel aussi complet que direct et donc fondé sur une formation et
des connaissances profondément labourées. Car sans formation et
compréhension logique, étayée du réel, l’engagement se résume vite au
bougisme, à la prise de position réflexe, pavlovienne. C’est ce que l’on
a pu lire ces derniers temps : « La Russie est contre l’hégémonie
américaine, Poutine est pro-syrien et anti-musulman, donc je le
soutiens ». Ou encore : « La Russie veut écraser le peuple ukrainien par
l’intermédiaire d’oligarchies corrompues, c’est aussi un impérialisme,
donc je soutiens les nationalistes ukrainiens ».
Ces
deux déductions comportent chacune leur part de vérité mais pèchent par
des simplifications idéales, voire idéalisées qui plus ou moins
consciemment visent à faire coïncider au mieux les aspirations rêvées
de leurs auteurs avec le réel. La raison en est l’impérieuse nécessité,
la puissante attraction du temps. Il faut se positionner vite, choisir
tout de suite, montrer le camp auquel on appartient, lever son drapeau
et défendre sa position … la plupart du temps d’ailleurs contre un
camarade, ce qui frise le non-sens.
Il
y a dans cette cavalcade partisane comme un abandon à la modernité dans
ce qu’elle a de plus viral : le temps zéro. Toute stratégie, toute
philosophie politique, tout militantisme conscient et toute Weltanschauung
exprimée ne peut que se fonder sur une temporalité longue. Ceci ne
signifie en aucune manière la tergiversation ou une prudence excessive,
mais seulement la volonté de résister aux sirènes des propagandes
médiatiques croisées, aux rumeurs toujours plus folles, aux engouements
aussi séduisants que creux. La civilisation européenne porte en elle
cette distance, cette mesure et ce détachement. C’est l’hubris des anciens Grecs, la distance intérieure d’Evola ou de Jünger.
Pas
de romantisme donc, pas de démesure non plus. Nécessité aussi de
recourir à la longue mémoire, à la temporalité et à la recherche
détachée des faits, implications et ressorts cachés d’un phénomène.
Observation, connaissance mais aussi principes.
Et
les principes des nationaux-révolutionnaires sont clairs :
non-alignement, cause des peuples, méfiance et défiance vis-à-vis des
impérialismes, objectifs politiques de puissance, socle européen,
préservation des intérêts nationaux français, opposition de l’organique
au systémique, rejet de l’occidentalisation du monde, opposition
farouche et résolue aux États-Unis comme puissance et culture, lutte
contre le marxisme – forme symétriquement consubstantielle du
capitalisme, promotion d’une troisième voie organique solidariste et
justicialiste.
Si
l’on considère les événements qui secouent l’Ukraine à l’aune des
principes évoqués ci-dessus, on peut alors dégager une position claire
est positive, une position de principe.
D’abord, reconnaître par le prisme historique que l’Ukraine est une réalité, un ethnos
qui cherche à fonder un État-nation. Nation sans État aurait dit Jean
Mabire, ardent défenseur de l’Ukraine tout comme Maurice Bardèche [Note d’Europe Maxima :
il s’agit en fait de Jacques Benoist-Méchin]. De fait, par-delà les
vagues de colonisation et l’occupation du territoire, une majorité
d’Ukrainiens (ukrainophones ou russophones) se reconnaissent « de
souche » dans les sondages (2001, 2004, 2009 et 2011), à hauteur
d’environ 63 % de la population. L’Ukraine existe, au grand malheur de
ceux qui la nient. Soutenir le droit du peuple ukrainien à se gouverner
en toute indépendance ne relève pas dès lors d’une quelconque forme de
romantisme mais au contraire d’un réalisme historiquement étayé.
Ensuite,
si l’Ukraine souhaite son indépendance, elle ne peut le faire sans
prendre en compte sa minorité russe et celle plus grande des Ukrainiens
russifiés. Il appartient donc au peuple ukrainien d’opérer un difficile
sursaut patriotique propre à unifier les composantes de son espace.
De
même, la Russie, voisin puissant aux tentations inquisitrices, doit
faire la démonstration de sa nouvelle politique tant vantée par le
Kremlin. Car, si l’on peut saluer les positions courageuses d’un
Vladimir Poutine sur certains grands dossiers de politique
internationale (on pense ici bien sûr à la Syrie) ou sur de grandes lois
de politique intérieure, on ne peut miser inconsidérément sur la Russie
comme champion de la multipolarité, du non-alignement. La Russie fait
incontestablement contrepoids aux menées américano-sionistes, c’est un
fait. Mais son positionnement géographique eurasiatique, sa
géopolitique, son histoire et son passé soviétique ne la conduisent
absolument pas à la multipolarité mais a un comportement dominant voir
hégémonique propre à créer une bipolarisation naturelle entre elle et
son opposant de l’Ouest. Dans ce cadre, la Russie « gère » son étranger
propre avec un paternalisme parfois pesant et menaçant. Les Baltes, les
Bélarussiens et les Ukrainiens en savent quelque chose.
Préserver
un non-alignement consiste dès lors à mesurer l’évolution de ces
rapports et à propager une option plus contractualiste de ces relations,
faite de respect mutuel et d’égalité de traitement. Faute de quoi, on
sera amené à considérer la politique russe de proximité comme une forme
asymétrique d’impérialisme. La Russie a le choix dans ces dossiers,
celui de pouvoir modifier les rapports avec les pays qui l’environnent
et préserver des liens privilégiés, sereins et salvateurs. L’autre
option, celle du rapport de force conduisant irrémédiablement les pays
ex-« satellites » au pire, c’est-à-dire dans les bras de l’ennemi
bruxello-américain.
Lequel
ennemi est toujours prompt à la destruction, en perpétuelle embuscade,
fomentant contre la Russie et l’Europe des pièges, des trappes, des
opérations false-flags [sous faux-drapeaux] dans le seul but de
déstabiliser une région, des économies, de fragiles équilibres
ethniques ou religieux. Bien sûr qu’il est à l’œuvre en Ukraine, cela
nous le savons et cela les nationalistes ukrainiens le savent. C’est à
eux de jouer contre cet ennemi mortel, notre principal ennemi :
l’Amérique. Nous, nous ne pouvons que dénoncer l’ingérence américaine,
montrer ses vecteurs d’attaque. Le sort de l’Ukraine ne nous appartient
pas.
Ce
qui nous appartient en revanche, c’est de poser la question
fondamentale qui doit toujours être « en quoi cela sert-il les intérêts
de l’Europe, de la France ? ».
Car
si l’on peut dénoncer sans ambages l’hydre étatsunienne et reconnaître
le caractère naturellement plus engageant – au moins en surface – de la
politique russe ; c’est un pari dangereux que de consacrer la Russie
alliée et protectrice de l’Europe, voire partie de cette Europe.
D’abord
parce que le régime russe ne se prévaut pas d’une lutte acharnée contre
le capitalisme et le libéralisme, fondant ainsi un modèle
autoritaro-libéral assez semblable à ce que produit la Chine (ce qui
conduit également à la répression en Russie de mouvements
nationaux-révolutionnaires et nationalistes autonomes).
Ensuite
parce que les Russes eux-mêmes ne se définissent pas Européens mais
« Russes », tenant à cette particularité réelle et observable.
Enfin, parce que la doctrine de l’eurasisme implique l’hégémonie de l’imperium
russe et l’extension de la vision continentale à sa partie asiatique.
En tant qu’Européens, cette vision séduisante en surface, recèle d’un
péril mortel. Celui de la dépossession de l’héritage gréco-romain et
chrétien au profit d’un socle plus asiato-centré et donc immanquablement
concurrent en terme de vision du monde.
La
Russie a son destin, un grand destin. En tant qu’Européens, nous devons
le soutenir tout comme nous devons soutenir la recherche d’un
partenariat privilégié avec Moscou. Mais il nous reste un destin à
accomplir le nôtre, celui de l’Europe.
Car
l’Europe est certes en bien mauvaise posture, gangrenée par
l’occidentalisation rampante, par les supplétifs de Washington aux
commandes à Bruxelles, par l’invasion de masse en provenance d’Afrique
et d’Orient (proche ou lointain), par le rachat de son économie par les
pétromonarchies …
Mais
l’Europe est notre berceau, notre socle et notre espace géopolitique,
culturel et ethnique naturel de combat. Nous ne pouvons déroger à notre
destin en cherchant ailleurs l’homme providentiel, le pays-phare qui
réalisera au loin ce que semble-t-il nous sommes incapables de générer
ici. Et c’est précisément parce que nous sommes conscients des limites
des modèles, que nous avons l’impérieux devoir de bâtir le nôtre. Les
nationalistes ukrainiens, en particulier ceux du Pravyi Sektor (le « Secteur Droit de la place Maïdan ») se revendiquent européens et proposent un programme de Reconquista
très semblable à celui que nous formulons. En ce sens, on peut dire que
leur action a quelque chose de vivifiant, comme un coup de fouet dans
le champ du possible.
Il
est donc temps de dépassionner le débat sur la crise ukrainienne, de
cesser de l’essentialiser, de le ramener à ses dimensions réelles qui
sont celles de nos intérêts propres.
Saluons
la vitalité renaissante de la Russie, saluons également le courage et
la ténacité des nationalistes radicaux ukrainiens qui ont impulsé une
révolte du peuple contre l’oligarchie corrompue nous montrant par-là la
direction à suivre.
Et
surtout ne perdons pas de temps à gloser infiniment sur les mérites de
telle ou telle alliance hypothétique, tel ou tel allié – leader
fantasmé. Nous y perdons beaucoup d’énergie, sans parler des facteurs
éventuels de divisions, de nouvelles fractures que nous créons par nos
prises de positions extrêmes. Il est pourtant vital pour notre survie et
à long terme pour le développement de nos idées que nous soyons enfin
capables d’exprimer une troisième voie géopolitique fondée sur nos
intérêts propre, ceux de l’Europe que nous voulons, ceux de la France
que nous aimons.
Revenons donc au réel, revenons à nos principes.
Arnaud de Robert pour le Cercle non conforme
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