Il y a deux interprétations possibles de la politique d’austérité
actuelle. La première, assez répandue hors de la zone euro dans la
presse et parmi les économistes, peut se résumer par une formule
lapidaire s’appliquant aux dirigeants européens, rapportée par Martin
Wolf du Financial Times : «Ils ne comprennent simplement rien.»
Pour l’économiste Paul Krugman, on assiste à la mise à mort de l’euro
par une cure d’austérité budgétaire prescrite suite à un diagnostic
erroné.
Celui-ci a été rappelé par Angela Merkel dans son allocution au
Bundestag du 2 décembre, se félicitant de ce que tout le monde en Europe
s’accorde désormais sur les causes de la crise : le niveau élevé des
dettes publiques et le manque de confiance qui en résulte. La solution
serait alors un marathon d’austérité sous la surveillance de la Banque
centrale européenne et de la Cour européenne de justice, avec sanctions
automatiques pour les pays déviants de la norme de «bonne» gestion des
finances publiques. Pour ceux qui observeraient que l’austérité va tuer
la croissance, augmenter le chômage et donc aggraver le problème, la
réponse habituelle est qu’elle va augmenter au contraire l’activité
grâce à l’apparition miraculeuse de ce que Paul Krugman appelle la «fée confiance».
Pourtant, plutôt que de recourir aux invocations de l’économie
vaudou, les responsables politiques européens feraient mieux
d’abandonner l’austérité et accepter un peu d’inflation en Europe du
Nord, ce qui contribuerait à résorber les déséquilibres de compétitivité
avec l’Europe du Sud et à résoudre le problème de la dette dite
«souveraine», sans devoir en passer par des décennies de vaches maigres.
Rappelons par exemple que le plan de désendettement proposé par le
Conseil allemand des experts économiques prévoit pour l’Italie un
excédent budgétaire primaire de 4,2% du PIB pendant plus de vingt ans !
Pourquoi une politique aussi absurde est-elle suivie en Europe au
moment où les prévisions de croissance de l’OCDE pour 2012 annoncent la
stagnation (0,6% en Allemagne, 0,3% en France, 0,2% dans la zone euro)
voire la dépression (-0,5% en Italie, -3% en Grèce) ?
La réponse donnée plus ou moins explicitement dans le cadre de cette
première interprétation est simple : Angela Merkel, Jean-Claude Trichet,
Mario Draghi et consorts seraient des corniauds qui croient en des
théories économiques s’apparentant plus à la pensée magique qu’à la
science.
Mais si on peut reconnaître un fanatisme quasi-religieux dans les
croyances économiques soutenant les recommandations d’austérité
budgétaire, il ne faut pas pour autant sous-estimer la rationalité des
acteurs politiques. Le parallèle entre la politique préconisée à
l’échelle européenne par Angela Merkel et celle suivie au moment de la
grande dépression par Heinrich Brüning, chancelier de 1930 à 1932, est
éclairant à plus d’un titre. Contournant le Parlement, Heinrich Brüning
imposa par voie de décrets d’urgence une politique radicale d’austérité à
base de coupes drastiques dans les dépenses publiques, notamment les
indemnités pour les chômeurs, et de baisse des salaires. Cette politique
budgétaire, couplée à une politique monétaire restrictive par peur de
l’inflation, au moment où la déflation menaçait, contribua largement à
ce que l’Allemagne s’enfonce dans la dépression.
La politique économique, annoncée comme durable, suivie par celui que
les Allemands finirent par surnommer le «chancelier de la faim»
s’inscrivait dans le cadre d’une offensive conservatrice visant à la
fois à démanteler l’Etat social et à affaiblir le système politique de
la République de Weimar qui le garantissait. La Constitution de 1919
donnait pour objectif la coopération «sur une base égalitaire»
entre syndicats et patronat pour la fixation des salaires, des
conditions de travail et le développement économique ; elle garantissait
aussi un grand nombre de droits sociaux. Avec l’intensification de la
crise économique, l’objectif du patronat devint principalement
l’affaiblissement puis la disparition de ce système au moyen de
l’austérité et de la montée du chômage.
Altération de la démocratie et
dévalorisation de la politique pour s’en remettre à des règles
intangibles de supposée «bonne» gestion, remise en cause des droits
sociaux, fragilisation de la représentation collective des salariés et
réduction de l’Etat social par l’austérité budgétaire : les similitudes
sont suffisamment nombreuses pour se demander si on tient vraiment au
retour des années 1930.
http://www.liberation.fr/economie/01012375842-austerite-betise-ou-ruse-des-gouvernants
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