Alexander FRISCH:
Le dernier bastion de la Russie au Levant doit être éliminé!
Les médias occidentaux orchestrent une propagande qui campe le Président
syrien Bachar El-Assad comme un despote enragé qui fait ouvrir le feu
sur des civils innocents et désarmés et opprime une opposition née au
sein même de son peuple. Mais il faut avoir la curiosité de jeter un
oeil derrière le voile de ces mensonges propagandistes et de ces ragots
colportés par les grandes agences de presse pour constater que le
président syrien doit être éliminé, comme le veulent la “communauté
occidentale des valeurs” et les services secrets des puissances
occidentales, à l’instar de ce qui s’est déjà passé en Libye et en Irak.
Le motif n’est pas tant que la Syrie soit considérée comme un allié
étroit de l’Iran, lui aussi cible de l’Occident et menacé d’une attaque
par Israël; c’est surtout parce que Damas est le dernier allié de la
Russie au Levant.
L’influence de Moscou doit être repoussée partout où il est possible de
la repousser: tel est le but, non officiellement avoué, des Etats-Unis,
puissance dont les problèmes intérieurs et l’endettement démesuré ne
sont pas niables et qui perd de plus en plus de terrain en politique
étrangère. Ce sont les mêmes fondations, financées par les Etats-Unis et
d’autres puissances occidentales, qui agitent une frange de l’opinion
publique en Russie contre Poutine et qui soutiennent le parti de la
guerre civile en Syrie, qui veut le départ d’El-Assad. Ces fondations
fournissent des armes à l’opposition armée syrienne et mettent tout en
oeuvre pour provoquer un changement de régime à Damas, assorti de la
chute d’El-Assad et de son parti Baath, séculier et nationaliste
panarabe.
Y a-t-il en Syrie une opposition “modérée”?
Même au début de la mission de Nations-Unies en Syrie, la vague de
violence ne s’est pas estompée dans le pays. Chaque jour des citoyens
syriens perdent la vie dans les combats et dans les attentats à la
bombe. On escamote bien le fait que ces victimes, souvent des femmes et
des enfants, sont dues aux actions des “opposants” qui, fournis en armes
et en explosifs par l’étranger, ne tiennent pas compte de la sécurité
et de l’inviolabilité théorique des représentants des Nations-Unies.
Récemment deux engins ont explosé à proximité d’un hôtel de la ville
d’Idlib, où logeaient des observateurs des Nations-Unies. Au moins
vingt-deux personnes ont perdu la vie lorsque des bombes ont explosé
coup sur coup près de bâtiments abritant les services secrets de l’armée
loyaliste et des forces aériennes. La plupart des victimes
appartenaient, dit-on, aux services de sécurité.
Le Président du “Conseil National Syrien”, Burhan Ghalioun, qui parle
soi-disant au nom d’une “opposition modérée”, justifie l’usage d’armes
contre les instances de l’Etat, car de telles actions relèveraient de la
“légitime défense”. Pour le “Conseil National”, mis sur pied par
l’Occident, le régime d’El-Assad est sur le point de s’effondrer.
Ghalioun le “modéré” déclare à ce propos: “C’est comme un cadavre puant
qui attend d’être enterré”. Tandis que la “Communauté occidentale des
valeurs” attend manifestement qu’El-Assad dépose les armes
volontairement et agite le drapeau blanc face au parti de la guerre
civile, armé principalement par les Etats-Unis, le ministre russe des
affaires étrangères Serguëi Lavrov remarque en toute clarté que ce sont
les poseurs de bombe, les paramilitaires et les terroristes de
l’opposition militante qui barrent la route à tout processus de paix
réellement stabilisant.
“L’armistice annoncé selon le plan Annan et soutenu par le Conseil de
sécurité de l’ONU n’a pas encore permis une stabilisation définitive —en
grande partie parce que les groupes armés de l’opposition tentent sans
cesse de commettre leurs provocations: il s’agit principalement
d’attentats à l’explosif et d’actes de terreurs ou encore de tirs contre
les troupes gouvernementales ou contre des bâtiments publics”, a
déclaré Lavrov dans un entretien accordé à la station de télévision
russe “Rossiya-24”. La cible de l’opposition armée serait, d’après le
ministre russe des affaires étrangères, de faire échouer le plan
d’Annan, de susciter la colère de la communauté internationale et de
provoquer ainsi une immixtion étrangère. Ensuite, Lavrov a mis les
points sur les “i”: “Pour des raisons bien compréhensibles, nous
travaillons principalement avec le gouvernement en place que nous
tentons de persuader pour qu’il aille au devant des obligations strictes
qu’impose le plan d’Annan”. “L’opposition, avec laquelle nous cherchons
également à dialoguer se trouve, elle, en revanche, sous l’influence
d’autres Etats”, a poursuivi Lavrov, dans une phrase apparemment anodine
mais haute de signification. “De ces Etats, nous attendons une attitude
responsable face aux obligations que le Conseil de Sécurité des Nations
Unies demande de satisfaire”.
Les relations russo-syriennes
Le partenariat qui existe entre la Syrie et la Russie relève d’une
vieille tradition: il a commencé quand Damas a plutôt penché vers
l’Union Soviétique après s’être débarrassé de la double tutelle
française et britannique après la seconde guerre mondiale. Bien
qu’officiellement indépendante depuis 1941, la Syrie n’a vu le départ
complet des troupes françaises et britanniques qu’en 1946. Dans la
foulée, le pays a été secoué par une longue série de soulèvements et de
coups d’Etat, situation instable due surtout à la défaite arabe face à
Israël en 1948; en 1955, Choukri al-Kouwatli, tourné vers l’Egypte
nassérienne, prend le contrôle du pays et sort victorieux de la période
d’instabilité. Fin 1956, il rompt les relations diplomatiques avec la
France et la Grande-Bretagne, s’envole vers Moscou et obtient
d’importantes livraisons d’armes de la part des Soviétiques, pour une
valeur totale de 60 millions de dollars.
La montée du chef panarabe légendaire, Gamal Abdel Nasser, en Egypte a
également nourri les espoirs syriens de créer un Etat arabe commun. En
octobre 1957, des troupes égyptiennes débarquent en Syrie; le 1 février
1958, Nasser et Al-Kouwatli proclament au Caire la fusion en un seul
Etat de la Syrie et de l’Egypte ainsi que du Nord-Yémen sous le nom de
“République Arabe Unie” (RAU). Cette confédération a toutefois cessé
d’exister en 1961 suite au putsch perpétré par un groupe d’officiers
syriens. Deux années plus tard, le parti arabe-national Baath prend le
pouvoir à Damas puis, à la suite de conflits internes, l’aile gauche du
parti fomente à son tour un putsch en 1966 et Noureddine El-Atassi,
intransigeant face à Israël, devient le chef de l’Etat. Le premier
voyage du nouveau président l’amène à Moscou. La Syrie participe du 5 au
10 juin 1967 à la fameuse “Guerre des Six Jours” contre Israël; elle
est la dernière puissance arabe à déposer les armes mais perd les
hauteurs du Golan près du Lac de Génézareth. En septembre 1967,
El-Atassi préconise la fusion des “Etats arabes socialistes” (Egypte,
Algérie, Irak et Syrie) et plaide pour la poursuite du boycott pétrolier
contre l’Occident, surtout contre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
Un an plus tard commence la construction du barrage sur l’Euphrate avec
l’aide financière et technique de l’URSS.
Sous le successeur d’El-Atassi, Hafez El-Assad, le père de l’actuel
président syrien, le partenariat avec la Russie s’est largement
poursuivi. Entre 1979 et 1989, l’Union Soviétique a livré des armes à la
Syrie afin d’obtenir une parité stratégique face à Israël. Sur le plan
quantitatif la Syrie a obtenu cette parité en 1989 mais sur le plan
qualitatif les systèmes d’armement soviétiques étaient inférieurs à
leurs équivalents américains dont disposaient les Israéliens. Toutefois,
El-Assad, pendant les trente années de son règne, a pu établir la Syrie
comme le principal adversaire d’Israël. Tirant profit du conflit
Est/Ouest, il était parvenu à contrôler le Liban et à prendre une
position dominante dans le monde arabe.
Dans un entretien avec “ARTE-Journal”, le politologue français, expert
de la Russie, Jean-Sylvestre Mongronier a résumé comme suit la longue
tradition de partenariat dans les relations syro-soviétiques puis
syro-russes: “D’un point de vue historique, le pays se sentait plus
proche de l’Union Soviétique. Depuis l’indépendance réelle de 1946, la
Syrie a subi un processus de radicalisation et plusieurs coups d’Etat
ont eu lieu. Les forces nassériennes, les éléments communistes et les
baathistes ont tous été à l’oeuvre. En 1963, c’est le parti Baath qui
commet un putsch; en 1970, c’est au tour d’Hafez El-Assad. Le tout a
toujours été accompagné d’un rapprochement avec l’URSS. Celle-ci a joué
un rôle important dans la construction de l’appareil militaire syrien et
dans la reconstitution de celui-ci après la “Guerre des Six Jours” de
1967. En plus, en 1980, Syriens et Soviétiques signent un traité
d’amitié et de coopération. La Syrie s’endetta, comme ce fut également
le cas de la Libye, sauf que les dettes de Damas étaient sensiblement
plus élevées: 13 milliards de dollars. Ces dettes ont partiellement été
transformées en achats d’armements”.
Damas doit tomber !
Occupant une place centrale du point de vue géostratégique, entre les
Etats arabes et l’Iran, au beau milieu de plusieurs identités
religieuses, la Syrie détient donc une position unique dans l’agencement
du Proche Orient. Il y a plus de trente ans déjà, Henry Kissinger
reconnaissait que le pays avait la capacité de prendre en charge une
fonction de stabilisation au Levant. Moscou continue à entretenir des
relations étroites avec le gouvernement de Bachar El-Assad, y compris
sur les plans technique et militaire, car, comme auparavant, la Syrie
demeure un client important de l’industrie russe de l’armement.
Récemment, des contrats ont été conclus pour l’obtention de missiles à
courte portée.
Ce n’est donc pas un hasard si les “printemps arabes” ont été largement
mis en scène par les Etats-Unis et les services secrets occidentaux.
L’effervescence de ces “printemps” a ensuite été importée en Syrie car,
si Damas tombe, ce sera non seulement l’allié le plus important de
l’Iran, menacé par Israël, qui tombera mais aussi un partenaire de
longue date de Moscou. La Russie n’est apparemment pas disposée à
tolérer une hégémonie totale des Etats-Unis sur l’ensemble du Proche
Orient et sur ses richesses minérales. Le ministre russe des affaires
étrangères fait valoir l’influence qu’exerce la Russie par
l’intermédiaire de la Syrie et trouve désormais les mots justes pour
désigner l’opposition syrienne, qui est tout sauf pacifique car elle
mène une guerre par procuration pour le compte des Américains.
Alexander FRISCH.
(article tiré de DNZ, Munich, 11 mai 2012). via le site de TERRE ET PEUPLE
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