vendredi 6 septembre 2013

La modestie incroyable de J.R.R. Tolkien qui n'avait "pas le sentiment d'inventer"

À l'occasion des 40 ans de la mort de J.R.R. Tolkien, Deslettres publie une lettre de l'auteur du Seigneur des Anneaux qui explique avoir "toujours eu le sentiment de rapporter ce qui était déjà 'là', quelque part -non d'inventer".
Il y a 40 ans jour pour jour, le 2 septembre 1973, J.R.R. Tolkien, le célèbre auteur du Seigneur des Anneaux, du Silmarillion et du Hobbit, décédait. Deslettres.fr profite de cette date anniversaire pour rendre hommage au génial écrivain, en publiant une lettre envoyée à l'éditeur Milton Waldman, en 1951, dans laquelle Tolkien revient sur les origines de son oeuvre, entre goût pour l'imaginaire et rigueur de linguiste. L'occasion de connaître un peu mieux le personnage, trop souvent éclipsé par son oeuvre gigantesque, explique DesLettres. 
Professeur d'Oxford, travailleur acharné, linguiste de génie -il a notamment inventé l'elfique, la langue des elfes- et passionné par les mythes et les légendes nordiques, Tolkien était pourtant modeste. "J'ai toujours eu le sentiment de rapporter ce qui était déjà 'là", quelque part -non d'inventer", confiait-il notamment à l'éditeur. 

Lire la lettre ci-dessous:

Lettre de J.R.R Tolkien à Milton Waldman publiée par Deslettres.fr

Mon cher Milton, 

Vous m'avez demandé un bref exposé de ce que j'ai écrit en rapport avec mon monde imaginaire. Il est difficile d'en dire quelque chose sans en dire trop : essayer d'en dire quelques mots, c'est laisser libre cours à un enthousiasme débordant, car l'égoïste et artiste éprouve le désir immédiat d'expliquer comment tout s'est développé, ce que c'est, et ce que lui (pense-t-il) veut dire ou tente de représenter dans tout cela. Vous allez devoir subir un peu de ce récit, mais je joindrai un simple résumé (du contenu du livre) - ce qui est (peut-être) seulement ce que vous voulez, ce dont vous avez besoin ou ce que vous aurez le temps de lire.?? Pour ce qui est des circonstances, du développement et de la composition, tout a commencé en même temps que moi - mais j'imagine que cela n'a pas grand intérêt pour quiconque à part moi. Je veux dire par là qu'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours porté cela en gestation. Beaucoup d'enfants inventent, ou commencent à inventer des langues imaginaires. Cela a été mon cas dès que j'ai su écrire. Sauf que je n'ai jamais cessé, quoique, bien entendu, en tant que philologue de métier (particulièrement intéressé par l'esthétique linguistique), mes goûts aient évolué, mes connaissances théoriques se soient améliorées, de même (probablement) que mon savoir-faire. Il y maintenant à l'arrière-plan de mes histoires un réseau de langues (dont seule la structure est ébauchée pour la plupart d'entre elles). Mais à ces créatures que j'appelle en anglais, de façon trompeuse, des Elfes, sont associées deux langues apparentées qui sont plus achevées, dont l'Histoire est écrite, et dont les formes (qui représentent deux aspects différents de mon propre goût linguistique) sont déduites scientifiquement d'une origine commune. 
Mais j'ai nourri ab initio une passion tout aussi fondamentale pour les mythes (non l'allégorie !), pour les contes de fées, et surtout pour les légendes héroïques à la lisière du conte de fées et de l'Histoire - qui sont bien trop peu nombreuses dans le monde (à m'être accessibles) à mon goût. Je n'avais pas encore achevé mes études quand la réflexion et l'expérience me révélèrent que les pôles opposés de la science et du roman ne relevaient pas de goûts divergents mais étaient totalement apparentés. Je suis cependant loin d'être "érudit" en matière de mythe et de conte de fées, car sur ces sujets, j'ai toujours été à la recherche (pour ce que j'en savais) de matériaux, d'éléments d'un certain registre et d'une certaine qualité, et non de simples connaissances. Par ailleurs, et j'espère ici ne pas paraître absurde, j'ai très tôt été attristé par la pauvreté de mon propre pays bien-aimé : il n'avait aucune histoire propre (étroitement liée à sa langue et à son sol), en tous cas pas de la nature que je recherchais et trouvais (comme ingrédient) dans les légendes d'autres contrées. Il y avait les grecques, les celtes, et les romanes, les germaniques, les scandinaves et les finnoises (qui m'ont fortement marqué), mais rien d'anglais, excepté le maigre matériau des chap-books [sortes d'almanachs]. Bien sûr, il y avait, il y a, tout le monde arthurien mais, malgré sa force, il est imparfaitement naturalisé, étant associé avec le sol britannique et non anglais, et il ne venait pas combler le manque que je ressentais. Premièrement, son côté "féérique" est trop extravagant, fantastique, incohérent, répétitif. Ensuite et surtout, il fait partie intégrante de la religion chrétienne et la contient explicitement. 
Pour des raisons que je ne développerais pas, cela me semble être rédhibitoire. Le mythe et le conte de fées doivent, comme tout art, refléter et contenir en solution des éléments de vérité (ou d'erreur) d'ordre moral et religieux, mais pas explicitement, pas sous la forme connue du monde "réel", primaire. 
Bien entendu, un projet d'une telle démesure ne s'est pas développé tout d'un coup. Les seules histoires étaient fondamentales. Elles jaillissaient dans mon esprit comme si elles m'avaient été "données", et à mesure qu'elles apparaissaient, séparément, les liens se développaient également. Tâche absorbante, bien que continuellement interrompue (d'autant que, sans même parler des nécessités du quotidien, mon esprit avait tendance à s'envoler vers l'autre pôle pour se consacrer à la linguistique) ; et pourtant j'ai toujours eu le sentiment de rapporter ce qui était déjà "là", quelque part - non d'"inventer".  via Orage d'acier

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